M. Paul Bourget, eunuque par vocation et l’un des adeptes les plus illustres du Lieu Commun, a pris la peine de recommander celui-là. Je ne ferai pas à mes lecteurs l’outrage de leur rappeler le titre du livre puissant vertébré par cette formule.
Il paraît bien certain, en effet, que les enfants n’en demandent pas tant. C’est leur manière de confiner à l’état divin et c’est par là, sans doute, qu’ils peuvent plaire quelquefois à l’âme religieuse du Bourgeois qui adore par-dessus tout qu’on ne lui demande rien.
Je l’avoue, la seule idée d’un enfant qui demanderait à naître a quelque chose de troublant, et je comprends mieux le prophète Jérémie déplorant que sa mère ne fût pas demeurée grosse de lui éternellement, sans pouvoir jamais l’enfanter. Cependant, s’il s’agit de naître Bourgeois… ou Psychologue, l’impatience, à la rigueur, se peut concevoir.
Ce Lieu Commun ne me paraît donc pas recevable en tant qu’axiome et je crains que Paul ne se soit laissé entraîner plus loin qu’il n’aurait fallu sur la piste d’un receveur des contributions ou d’un chef de bureau de l’État civil trop téméraire. Je suis même peu éloigné de croire, avec le fétide Schopenhauer, que tous les enfants, sans exception, demandent à naître et que c’est ainsi que se peuvent expliquer les transports déraisonnables de l’amour.
Il va sans dire que je m’interdis absolument d’effleurer, en cette occasion, l’idée religieuse, impliquant des choses telles que la Prescience divine ou la Prédestination, que le perspicace Bourgeois dédaigne. Saint Colomban, dit-on, entendait les cris des petits enfants qui l’appelaient du sein de leurs mères. Mon coiffeur n’a jamais entendu rien de semblable, et tout ce surnaturel est surabondamment démenti par la bicyclette.
Pour m’en tenir à l’hypothétique allégation du cuistre précité, j’estime bienséant de conjecturer que si les enfants, même de bourgeois, ne demandent pas positivement à naître, ils suggèrent du moins à leurs parents l’horreur instinctive d’une virginité ou d’une continence qui s’opposerait à leur entrée dans la vie… Je ne sais si je me fais bien comprendre. En tout cas cela, suffit pour invalider la formule.
Mais lorsqu’un notaire affirme, en s’accompagnant d’une gesticulation bilatérale, que « les enfants ne demandent pas à venir au monde », cela ne peut signifier pratiquement que deux choses : ou qu’il faut renoncer à en faire, ou qu’il faut les tuer avant qu’ils naissent, dans l’intérêt des familles et dans l’intérêt bien compris des hoirs. Jamais, au grand jamais, dussent crouler les cieux, il ne devra être entendu, par exemple, qu’un petit bâtard tombé du ventre d’une gueuse a des droits quelconques à la pitié d’un procréateur qu’il est toujours interdit de rechercher. Et voilà tout, exactement tout.
Essayez de vous dire, après cela, que ce joli monde a été racheté, il y a dix-neuf siècles, par un Enfant qui avait demandé à naître, depuis toute l’Éternité !